CHAUMET : AVANT LE BRACELET ART DECO DE LA PREFACE…
Imaginez une paire d’ailes. Immense, légère, enveloppante, puissante et élégante. Elle appelle à la liberté. Maintenant, imaginez ces ailes faites de platine. Les doigts précieux des joailliers scient, laminent et liment, percent, ajourent, sertissent et polissent le métal blanc et brillant. C’est une métamorphose. La matière brute se transforme en merveille de finesse. Les lignes légères gravées sont un plumage soyeux. Les courbes serties de diamants sont des traits de lumière. Cette œuvre devient merveille lorsque le métal ajouré est serti d’un verre bleu à la couleur puissante et la transparence remarquable. De délicates plumes faites de diamants taillés en rose viennent tenir et rehausser ces touches de couleur.
Alors, le miracle s’opère : la lumière joue entre les lignes de diamants et le métal éclatant pour transpercer le bleu du verre. L’œil se perd dans les détails et le rêve.
Ces ailes incomparables revêtent, si tant est que cela soit possible, une importance et une beauté encore plus grandes lorsqu’on connaît leur histoire.
Seule une personnalité hors norme pouvait se permettre de porter un bijou d’une telle puissance. C’est le cas de Gertrude Vanderbilt, descendante du « Commodore », fortune immense de l’industrie ferroviaire et maritime. En 1896, elle épouse le séduisant Harry Payne Whitney de la firme Standard Oil.
Cette union offre au couple des possibilités financières qui feront de Mrs Payne Whitney une grande mécène des arts et, passionnée de bijoux, une cliente majeure de la Maison Chaumet. Cette femme aux mille facettes a contribué à la création de Vogue en 1892, mené diverses actions en faveur des jeunes artistes jusqu’à fonder en 1931 le Whitney Museum of American Art à New York.
Elle-même artiste proche des avant-gardes de son époque, Gertrude Payne Whitney effectue plusieurs voyages en Europe, en Grèce, à Rome et surtout à Paris où elle ouvre un atelier de sculpture à Passy. Elle y rencontre Auguste Rodin dont elle deviendra l’élève.
En 1910 Mrs Payne Whitney se rend chez Chaumet afin d’y commander un bijou de cheveux représentant des ailes. Ce motif qui resta en vogue jusqu’au début des années 20 s’inspirait des heaumes ailés coiffant les Walkyries des opéras de Wagner. Ces divinités de la mythologie nordique, guerrières d’Odin, qui chevauchaient à la recherche des guerriers morts en héros.
Riche de son expérience et savoir-faire, la Maison Chaumet prend la commande pour la sublimer. L’aigrette transformable en devant de corsage devient cette incroyable paire d’ailes qui pouvait se porter dans toutes les directions grâce à son armature.
Cette pièce est la rencontre de génies créatifs. Toute Maison aspire au sublime, Chaumet y parvient ici grâce à la force inspiratrice de sa cliente et à la parfaite maîtrise de son art qu’est la joaillerie.
Cette qualité d’exécution, notamment dans le travail du platine, se développe à la Belle Epoque et continue durant la période Art Déco dont le bracelet de 1926 présent dans la Préface est emblématique. Le langage esthétique s’éloigne du naturalisme pour s’approprier un vocabulaire géométrique, avec toujours cette quête de la modernité et de l’excellence.
Violaine Bigot
Chargée de collection joaillière Patrimoine