JEAN PATOU, LA REUSSITE PAR L’AUDACE
Par Emmanuelle Polle
Auteure de "Jean Patou, une vie sur mesure", aux éditions Flammarion (2013)
Né en 1887 à Paris de parents issus de la bourgeoisie industrielle, rien ne semble prédisposer Jean Patou au métier de couturier. À dix-huit ans, il s’engage dans l’armée alors que l’entreprise familiale, une tannerie, lui tend les bras. Entrepreneur dans l’âme, il a 23 ans lorsqu’il crée sa première maison de couture, la maison Parry, au rond-point des Champs-Élysées. On est en décembre 1910 et le succès ne tarde pas, renforçant chez le jeune homme l’idée qu’il suffit d’oser pour réussir.
En 1914, à 27 ans, il crée une maison de haute couture qui porte son nom au 7, rue Saint-Florentin à Paris. L’adresse est prestigieuse, un hôtel particulier XVIII de 3500 m2. Mais la déclaration de guerre et la mobilisation l’obligent à différer de quelques années son envie de révolutionner la mode. Une fois la guerre terminée, gorgé de souvenirs rapportés du Front d’Orient, il s’impose très vite par la rigueur et la modernité de sa ligne. Il habille la grande joueuse de tennis Suzanne Lenglen, dont les bas blancs révélés par une jupe plissée jugée courte, ont participé à sa renommée. Une nouvelle mode voit le jour, une mode ‘Garçonne’ et ‘sportive’, même si elle ne réclame de la cliente aucune pratique assidue.
Le goût du scandale
En 1924, il suscite un véritable scandale lorsqu’il choisit de recruter des mannequins américains, qu’il sélectionne sur la finesse de leurs chevilles et l’étroitesse des hanches. En France, les dents crissent, les mentalités en sont encore au culte de la Parisienne toute en courbes. Ce coup de marketing est un succès, les clients, issues des quatre coins du monde et la presse se bousculent aux défilés de la maison Patou.
Jean Patou, connu pour son goût pour les casinos, mise gros quand, en 1929, il rallonge les jupes jusqu’à la cheville, tandis que celles-ci s’arrêtaient au genou depuis des années. Quelle audace ! Et, une fois encore, le pari est gagné. Bientôt, tous les couturiers et couturières de la place de Paris s’emparent de cette innovation stylistique, qui deviendra la marque de la silhouette glamour des années 1930. Louise Brooks, Josephine Baker, l’aviatrice américaine Ruth Elder ou encore Rose Kennedy, la mère de JFK, comptent parmi ses clientes.
L’instinct de l’entreprenariat
Cette personnalité flamboyante cache aussi un homme au sens esthétique rare, un collectionneur et bibliophile passionné, mais aussi un entrepreneur moderne, utilisant les principes d’organisation scientifique du travail venues des États-Unis, et, enfin, un habile manager sachant susciter la fidélité de ses employés. Chef d’entreprise, Patou est un travailleur acharné, véritable workaholic. Au plus fort du succès, l’entreprise emploie 3500 personnes et s’étend sur 10.000 m2 en plein cœur de Paris.
La crise économique frappe Patou de plein fouet. Dernier baroud d’honneur, il lance en 1930 son plus célèbre parfum Joy, mélange opulent de rose et de jasmin, bientôt connu comme “the costliest perfume in the world”. La mort le fauche avant sa 50e année. L’entreprise familiale passe entre les mains de sa sœur Madeleine, et son beau-frère, Raymond Barbas. Ensemble ils remontent l’affaire qui reviendra sur le devant de la scène sans jamais se départir de son image d’excellence. Les ateliers y sont réputés et les jeunes couturiers d’envergure s’y succèdent : Marc Bohan, Karl Lagerfeld, Michel Goma, Jean-Paul Gaultier… jusqu’à sa fermeture en 1987 avec le départ de Christian Lacroix. Guillaume Henry, nouveau styliste aux commandes depuis que la griffe a fait son entrée dans le groupe LVMH, signe les collections de prêt-à-porter féminin.
En 2019 Jean Patou devient Patou. Une nouvelle page d’histoire est en marche, pleine de joie.